Les rebelles syriens, menés par le groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Cham, ont renversé le régime de Bachar al-Assad à la suite d’une offensive qui n’aura duré qu’onze jours. Ils ont profité d’une vacance des pouvoirs, d’une armée démotivée et d’un contexte international qui leur a été favorable.
Elles avaient promis de défendre Damas et le régime de Bachar al-Assad coûte que coûte. Les forces armées syriennes n’ont finalement guère opposé de résistance lors de l’entrée des rebelles, menés par le groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Cham (HTC, également connu sous le nom de HTS), dans la capitale du pays, dimanche 8 décembre.
"Le futur nous appartient", a déclaré triomphant Abou Mohammed al-Joulani, le chef des HTC depuis le centre de Damas, alors que l’ancien maître du pays, Bachar al-Assad, était en fuite probablement en direction de la Russie, ce que son allié historique a refusé de confirmer pour l'instant.
"Absence quasi totale de résistance"
Il n’aura donc même pas fallu deux semaines aux rebelles syriens pour mettre fin à près de 50 ans de règne de la famille Assad.
La rapidité de l’effondrement du château de cartes syrien a pris beaucoup d’observateurs de la région de court, y compris les HTC. "Au départ, c’était une offensive qui visait à s’emparer de quelques positions du nord du pays. Mais lorsqu’ils ont vu l’absence quasi totale de résistance des forces du régime, ils ont décidé de voir jusqu’où ils pourraient aller", souligne Scott Lucas, spécialiste du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord à l’université de Birmingham.
Le 27 novembre l’offensive démarre au nord. Le 1er décembre Alep tombe. Le 5 décembre, la ville de Hama est prise. Puis deux jours plus tard c’est au tour de Homs de passer entre les mains des rebelles, et enfin, de Damas.
"Le seul endroit où on peut dire qu’il y a vraiment eu des combats intenses, c’est lors de l’assaut sur Homs pendant environ 24 heures", note Scott Lucas. L’armée syrienne "n’a pas montré la même résistance qu’entre 2013 et 2016 [pendant la guerre contre l’organisation terroriste État islamique, NDLR] lors des sièges très sanglants d’Alep, Hama ou Homs", confirme Aghiad Ghanem, docteur en relations internationales franco-syrien et enseignant à Sciences Po Paris.
Sur le papier, le rapport de force semblait tout sauf équilibré. Et pas en faveur des troupes rebelles. L’armée syrienne compte plus de 200 000 hommes et le régime de Bachar al-Assad pensait bénéficier d’un "soutien de la Russie, de l’Iran et du mouvement pro-iranien Hezbollah qui le maintiennent en vie depuis 2015", assure Shahin Modarres, spécialiste du Moyen-Orient à l’International Team for the Study of Security (ITSS) Verona. En face, ce sont environ 50 000 rebelles syriens qui sont passés à l’offensive. Mais "ils sont très déterminés, motivés et ultra-armés", souligne Sébastien Boussois, spécialiste du Moyen-Orient à l’Observatoire géostratégique de Genève et auteur de "Daech, la suite" (Éd. de l’Aube).
Armée démotivée et alliés aux abonnés absents
Une différence de taille avec les forces régulières dont dispose Bachar al-Assad. Le pays est confronté "depuis des années à une situation économique très compliquée, ce qui a des conséquences concrètes sur le fonctionnement de l’État et aussi de l’armée, dont les soldats ne sont pas suffisamment rémunérés pour être assez motivés et déterminés à défendre le pays", explique Sébastien Boussois.
Ce ne sont pas seulement les simples soldats qui n’étaient pas prêts à affronter les rebelles. Leurs supérieurs non plus. "Depuis des années, les officiers sont plus occupés à chercher d’autres moyens de se faire de l’argent qu’à organiser les défenses du pays ou du régime", tranche Scott Lucas.
Les alliés traditionnels de Bachar al-Assad savaient qu’il ne fallait pas trop compter sur l’armée syrienne, mais ils ont été incapables et/ou peu désireux de lui apporter le soutien nécessaire. À commencer par la Russie, "trop occupée par l’Ukraine pour pouvoir garantir la sécurité du régime", souligne Shahin Modarres. Elle a certes organisé quelques raids aériens début décembre, "mais uniquement au nord dans la région d’Idleb, déjà sous contrôle des HTC et autres rebelles", précise Scott Lucas.
Pour le spécialiste du Moyen-Orient, "la Russie a aussi sous-estimé à quel point le Hezbollah a été affaibli par Israël. Moscou pensait qu’il y aurait toujours les combattants du mouvement chiite pour ralentir l’avancée des rebelles, mais ils étaient vraiment trop peu et n’ont pas tenu". L’Iran, quant à lui, "est affaibli économiquement par les sanctions internationales, et trop occupé ailleurs par les coups portés à son ‘axe de la résistance’ [l’ensemble des groupes armées pro-iraniens dans la région, NDLR] par Israël", affirme Shahin Modarres.
"Les rebelles ont ainsi pu avancer dans un pays où régnait une vacance de tous les pouvoirs", continue l’expert de l’ITSS. Même à Damas ? "C’est vrai qu’on a beaucoup fantasmé sur une bataille de Damas, mais la réalité c’est qu’il n’y en a pas eu. À partir du moment où Bachar al-Assad a compris qu’il n’aurait pas de soutien de l’Iran ou de la Russie, il a préféré quitter la ville et le pays", résume Sébastien Boussois.
Avant l’entrée des forces rebelles à Damas, "l’armée avait assuré que 30 000 à 40 000 combattants allaient être déployés depuis Homs pour tenir la capitale, mais peu après, les forces menées par HTC arrivaient déjà dans les faubourgs de Damas. À ce moment-là, les soldats peu motivés se sont dit que cela ne valait pas le coup de continuer à se battre", explique Scott Lucas.
Des rebelles syriens mieux coordonnés
Cette guerre éclair n’a pas tourné en faveur des rebelles uniquement à cause de l’effondrement sur lui-même d’un régime isolé. En face, les HTC étaient "bien armés et soutenus essentiellement par la Turquie", note Sébastien Boussois.
Avec ces islamistes radicaux – issus de l’ancienne branche syrienne du mouvement terroriste Al-Qaïda –, la Turquie "espère gagner en influence dans la ‘nouvelle’ Syrie, avoir davantage de latitude pour s’occuper des Kurdes en Syrie, et éventuellement créer une zone tampon dans le pays pour limiter l’afflux de migrants", détaille Shahin Modarres.
Là encore, "la Russie a été prise par surprise. Elle pensait que la Turquie était satisfaite du statu quo du nord du pays qui avait été négocié entre Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan, en 2020. Ce qui n’était visiblement pas le cas", note Scott Lucas.
Surtout, les forces rebelles "ont fait preuve d’une sécurité opérationnelle et d’une coordination entre leurs différentes composantes qu’on n'avait pas connues jusqu’à présent", assure Scott Lucas.
"L’Iran ou la Russie ont toujours su anticiper les offensives des rebelles au Nord. Cette fois-ci, les deux alliés de Bachar al-Assad ont été pris par surprise", estime l’expert de l’université de Birmingham. Pour lui, ce n’est pas uniquement parce que ces deux puissances n’étaient pas suffisamment concentrées sur la situation en Syrie. Les islamistes radicaux d’HTC ont su garder leurs intentions secrètes.
Et une fois l’offensive lancée, ils ne sont pas retombés dans leurs travers, "qui étaient soit d’essayer d’avancer trop rapidement sans s’assurer qu’ils avaient un soutien logistique suffisant, soit de ne pas se coordonner suffisamment", conclut Scott Lucas.
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