Le 18 octobre dernier, le peuple de Guinée s’est massivement mobilisé pour élire son/sa futur (e)Président (e) de la République : le/la premier (e) de la 4ème République.
Si dans l’ensemble, tous corroborent que le scrutin entant que tel s’est bien déroulé, il en découle cependant des revendications qui ont été portées devant l’organe qui en a la compétence par au moins un des compétiteurs (candidats) et ce, après la proclamation des résultats provisoires globaux par la CENI (Commission Electorale Nationale Indépendante) le samedi 31 octobre 2020. Une telle démarche qui s’inscrit dans l’orthodoxie juridique élève un conflit que l’on peut nommer : LE CONTENTIEUX ELECTORAL.
Le contentieux électoral s’entend des litiges résultant des opérations électorales, notamment en ce qui concerne la liberté de vote, la candidature (éligibilité), la campagne électorale, les résultats des opérations électorales[1]. Il s’agit donc de l’ensemble des litiges relatifs à l’application de la législation et de la règlementation électorales.
En d’autres termes, c’est l’opération qui vise à régler les litiges mettant en cause la régularité des processus électoraux[2]. Il a, à cet effet, pour objet de vérifier la régularité des actes et la validité des résultats des élections.
Le contentieux électoral comporte lui-même plusieurs types de contentieux: le contentieux électoral proprement dit et le contentieux répressif qui tend à la sanction des actes de fraudes commis à l’occasion des élections et à la condamnation de leurs auteurs[3].
En effet, le pluralisme politique défini comme règle intangible[4] donnant lieu à des élections pluralistes est aujourd’hui indispensablepour mesurer la légitimité des gouvernants dans notre pays; et le contentieux est incontournable pour assurer la crédibilité de la consultation électorale. L’existence du contentieux et sa fiabilité sont un signe de la légitimité desprocédures de désignation des gouvernants. En d’autres termes, l’utilisation du contentieux électoral par les acteurs politiques et l’adhésion deceux-ci à l’idée même de ce mécanisme démontrent leur maturité ainsique celle de la population en général, et révèlent le niveau de développement politique de la société. De toute évidence, mieux vaut organiser le contentieuxque d’avoir recours aux violences postélectorales ; de plus, il y a lieu de s’inquiéter lorsqu’il n’y a pas de contentieux réglé selon les voies dudroit.
En République de Guinée, le contentieux électoral est connu par la cour constitutionnelle qui en proclame les résultats définitifs des élections nationales. C’est l’une des compétences dévolues à l’institution à côté de celles du contrôle de la constitutionnalité des lois ; de la validité des dossiers de candidatures aux élections nationales, ainsi que des opérations de référendum ; du règlement intérieur des institutions républicaines quant-à leur conformité à la constitution ; des conflits d’attributions entre les organes constitutionnels ; de l’exception d’inconstitutionnalité et des recours formés contre les actes du Président de la République[5].
Après ce tour d’horizon, il me semble important de nous poser un certain nombre d’interrogations. Si l’on sait qu’en l’espèce, l’organe compétent reste la cour constitutionnelle, qu’en est-il de sa saisine en matière de contentieux électoral ;ensuite, que dire des effets d’une telle opération ?
En effet, la saisine de la cour consiste à introduire une requête devant elle en vue qu’elle statue sur une question donnée. Nous parlerons des conditions de saisine (I) avant d’aborder les effets de la saisine (II).
- LES CONDITIONS DE SAISINE DE LA COUR CONSTITUIONNELLE DANS LE CADRE DU CONTENTIEUX ELECTORAL.
Les conditions de saisine de la cour constitutionnelle guinéenne sont liées à la fois à la personne et au temps. Selon l’article 164 du code électoral révisé, « Dans les conditions et délais fixés par l’article…, tout candidat au scrutin peut contester la régularité des opérations électorales sous forme d’une requête adressée au Président de la Cour Constitutionnelle ».
- Les conditions intuitu personae : il s’agit de la condition en considération de la personne. Elle pose sans doute la question de savoir : qui peut déposer une requête devant la cour après la proclamation des résultats totaux globaux ?
De manière générale, quatre conditions sont à remplir pour pouvoir intenter une action devant une juridiction.Ces conditions sont : le droit ;l’intérêt, qu’il soit pécuniaire ou moral ; la qualité: c’est-à-dire le titre juridique nécessaire pour pouvoir figurer dans une procédure ; la capacité d’agir en justice[6].
De ce point de vue, seuls les candidats aux élections nationales disposent du droit d’intenter une action (recours) devant la cour. Car la constitution dispose ceci « …Si aucune contestation relative à la régularité des opérations électorales n’a été déposée par un des candidats au Greffe de la Cour Constitutionnelle… »[7]
Pour le code électoral, « Après le dépôt par la CENI des résultats provisoires, si aucune contestation relative à la régularité des opérations électorales n’a été déposée par un des candidats au Greffe de la Cour Constitutionnelle… »[8]
Au regard des résultats provisoires globaux de l’élection présidentielle du 18 octobre dernier, il appartient donc logiquement aux onze autres candidats le vœu d’ouvrir un contentieux à travers une requête.
Cette requête doit être motivée, écrite et signée du requérant ou de l’ensemble des requérants. Elle doit contenir les, nom, prénom, qualité et adresse du requérant, le nom de l’élu dont l’élection est contestée, les moyens d’annulation évoqués. Le requérant doit annexer à la requête, les pièces produites au soutien de ses moyens[9]. La Cour peut lui accorder, exceptionnellement, un délai pour la production d’une partie de ces pièces.
Cette requête doit préciser les faits et moyens allégués et respecter les délais de dépôt sous peine d’irrecevabilité.
Au-delà des conditions liées à la personne des candidats ; il y a celles liées au temps.
- Les conditions du temps : le délai de saisine
« …Si aucune contestation relative à la régularité des opérations électorales n’a été déposée par un des candidats au Greffe de la Cour Constitutionnelle dans les huit jours qui suivent le jour où la première totalisation globale a été rendue publique par la Commission Electorale Nationale Indépendante, la Cour Constitutionnelle proclame élu le Président de la République…»[10]
« Après le dépôt par la CENI des résultats provisoires, si aucune contestation relative à la régularité des opérations électorales n’a été déposée par un des candidats au Greffe de la Cour Constitutionnelle dans les huit (8) jours qui suivent le jour où la première totalisation a été rendue publique, la Cour Constitutionnelle proclame élu le Président de la République.
En cas de contestations, la Cour Constitutionnelle examine les requêtes formulées avant de proclamer les résultats définitifs.»[11]
L’analyse de ces dispositions nous conduit à déduire que si la totalisation globale des résultats provisoires a été rendue publique par la CENI le samedi 31 octobre 2020, les candidats avaient jusqu’au dimanche 1er novembre 2020 pour déposer leurs requêtes.
Si en effet la Cour Constitutionnelle ne s’est pas prononcée au terme du délai de huit jours après la proclamation par la CENI des résultats totaux globaux, il faut par conséquent soutenir qu’elle a reçu au moins une requête donnant lieu à du contentieux.
La requête une fois déposée au Greffe de la Cour Constitutionnelle, est par la suite communiquée par le Greffier en chef de ladite cour aux candidats intéressés. Ces candidats disposent d’un délai maximum de quarante-huitheures (48h) soit deux jours pour déposer un mémoire en réponse[12].
Cette étape une fois franchie, la Cour Constitutionnelle se prononce au cours d’une audience solennelle dans les trois (3) jours qui suivent la transmission des mémoires[13].
Les conditions liées au contentieux électoral, notamment celui de la présidentielle, étant présentées ci haut, place aux effets.
- LES EFFETS DU CONTENTIEUX ELECTORAL DEVANT LA COUR CONSTITUTIONNELLE DANS LE REGISTRE DE L’ELECTION PRESIDENTIELLE EN REPUBLIQUE DE GUINEE.
Dans la deuxième partie de cette contribution, il va être question de la procédure devant la cour et du sens de sa décision une fois qu’elle ait déclarée la requête : recevable.
- La procédure du contentieux électoral devant la Cour Constitutionnelle dans le cadre de l’élection présidentielle en République de Guinée.
La Cour constitutionnelle n’exerce ses attributions, même en matière de contentieux électoral, que si elle est saisie. Elle ne dispose donc d’aucun pouvoir d’autosaisie. La procédure devant elle, est sans frais et n’est pas contradictoire, c’est-à-dire que les requérants ne peuvent y être entendus.
Elle statue sur la base des pièces justificatives (documents) qui l’ont été transmises par le requérant.Tout document produit après le dépôt de la requête n’a pour la Cour qu’une valeur de simple renseignement[14]
Au cours de la procédure, l’examen du contentieux électoralreposesur le principe de l’influence décisive ou déterminante. Principe en vertu duquel l’influence des irrégularités commises et les fraudes constatées sur les résultats du vote, déterminent l’annulation ou la validation de l’élection.
Dans sa démarche, le juge électoral vérifie que les opérations électorales se sont déroulées dans le
strictrespect du droit. Plus loin, il doit distinguer les irrégularités électorales, lesinsuffisances logistiques de la fraude électorale qui consiste dans des manœuvresdolosives conscientes pour remporter une victoire imméritée.
- Le sens de la décision de la Cour Constitutionnelle dans le domaine du contentieux électoral.
Les arrêts de la Cour constitutionnellesont insusceptibles d’aucun recours et s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et judiciaires, de même qu’aux citoyens. C’est le sens de l’article 58 de la loi organique relative à la Cour Constitutionnelle.
Pour l’essentiel, le contentieux des résultats tend essentiellement à la confirmation ou à l’annulation
de l’élection ou encore à la reformation.[15]
- La confirmation consiste pour la cour d’acquiescer les résultats provisoires proclamés et déposés par la CENI auprès d’elle ;
- L’annulation consiste pour la cour de rejeter les résultats provisoires rendus publics par la CENI. Conséquence : une nouvelle élection dans les quatre-vingt-dix (90) jours ;
- La reformation consiste dans la modification des résultats des opérations électorales qui peut conduire à l’élection d’un autre candidat que celui arrivé en tête avant cette réformation.
Il faut souligner ceci : l’existence d’irrégularités et le constat de leur gravité ne suffisent pas à fonder la décision d’annulation, le juge doit s’interroger sur l’opportunité de procéder à de nouvelles opérations, c'est-à-dire s’il y a, dans les circonstances de l’événement, nécessité insurmontable de faire apparaitre le choix réel des électeurs.Le juge électoral combine ainsi le principe de l’influence déterminante ou décisive avec leprincipe d’opportunité pour décider de la confirmation ou de l’annulation del’élection[16].
Documents de base :
Constitution guinéenne d’avril 2020
Code électoral révisé de 2017
La loi L06 sur la Cour Constitutionnelle de 2011
https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2009-2-page-139.htm
Odilon MAOMY, Juriste
[1] Article 28 al 3 la loi L/2011/06/CNT portant création, organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle.
[2]Jean-Claude Masclet, Droit électoral, puF, coll. « Droit politique et théorique », 1989, p. 309repris par Djedjro Francisco MELEDJE, Agrégé des facultés de droit du CAMES en poste à l’Université Félix HOUPHOUET-BOIGNY et Secrétaire Général du Conseil Constitutionnel de Côte d’Ivoire.
Article disponible en ligne à l'adresse : https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2009-2-page-139.htm de « Pouvoirs », éd Le Seuil, 2009/2 n° 129 | pages 139 à 155.
[3]Jean-Claude Masclet, Le Droit des élections politiques, puF, coll. «Que sais-je?», 1992. p. 97 sq
[4] Article 153 de la constitution guinéenne du 6 avril 2020.
[5] Article 18 de la loi L/2011/06/CNT portant création, organisation et fonctionnement de la cour constitutionnelle.
[6] Article 9 du code de procédure civile, économique et administrative de la République de Guinée.
[7] Article 46 de la constitution du 6 avril 2020.
[8] Article 163 de la loi L/2017/039/AN du 24 février, portant Code électoral révisé de la République de Guinée et promulgué par le Décret D/2017/193/AN du 27 juillet 2017.
[9] Article 42 de la loi organique L/06/2011 portant création, organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle.
[10] Article 46 al 2 de la constitution guinéenne du 6 avril 2020.
[11] Article 163 de la loi L/2017/039/AN du 24 février, portant Code électoral révisé de la République de Guinée et promulgué par le Décret D/2017/193/AN du 27 juillet 2017.
[12] Article 166 de la loi L/2017/039/AN du 24 février, portant Code électoral révisé de la République de Guinée et promulgué par le Décret D/2017/193/AN du 27 juillet 2017.
[13] Article 167 de la loi L/2017/039/AN du 24 février, portant Code électoral révisé de la République de Guinée et promulgué par le Décret D/2017/193/AN du 27 juillet 2017.
[14]Article 47 de la loi organique L/06/2011 portant création, organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle.
[15] Article 28 al 4 de la loi organique L/06/2011 portant création, organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle.
[16] Article 28 al 7 et 8 de la loi organique L/06/2011 portant création, organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle.
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